Article original en anglais écrit par James Mallinson, publié en 2021 pour l’Encyclopédie de Philosophie des Religions (The Encyclopedia of Philosophy of Religion – Wyley Editor). Il retrace les origines, l’histoire et l’évolution du Hatha Yoga. Titre original: Yoga: Haṭha

Haṭhayoga est un terme sanskrit utilisé dans des textes indiens depuis environ le 12ème siècle de notre ère. Il dénote un type de yoga dans lequel prédominent les pratiques physiques. Entre les 14ème et 18ème siècles, le haṭhayoga a été progressivement assimilé par différentes traditions religieuses courantes en Inde. Les méthodes de haṭhayoga sont la source de la majeure partie du yoga pratiqué dans le monde à notre époque.

Le terme haṭhayoga, que l’on peut traduire comme “yoga par l’intermédiaire de la force”, est tout d’abord apparu dans des oeuvres tantriques bouddhistes Vajrayāna du 8ème siècle de notre ère, oeuvres dans lesquelles il fait référence à une méthode indéterminée de prévention de l’éjaculation pendant le rituel sexuel. Vers le 12ème siècle, un texte appelé Amaraughaprabodha, “L’éveil dans la tradition des Immortels” (Birch 2021), fut composé à Mangalore sur la côte sud-ouest de l’Inde. Son auteur, un érudit de la tradition Śaiva connue par la suite comme celle des Nāths, a utilisé le terme Vajrayāna haṭhayoga pour faire référence à une des quatre méthodes de yoga (les autres étant mantra, laya, et rāja). Le haṭhayoga de l’Amaraughaprabodha utilise trois techniques de contrôle du souffle, et donc du sperme, qui sont d’abord enseignées dans une oeuvre Vajrayāna du 11ème siècle environ, appelée Amṛtasiddhi, “La réalisation de l’immortalité” (qui n’utilise pas le terme haṭhayoga pour faire référence à ses pratiques, Mallinson et Szántó 2021). L’Amṛtasiddhi rejette le rituel sexuel du Vajrayāna  conventionnel et enseigne un yoga pour les ascètes hommes ayant choisi le célibat. Cette orientation sera maintenue à travers tout le corpus haṭhayoga ultérieur qui vise en priorité des hommes ascètes au célibat. Certains textes font cependant des concessions pour les hommes conventionnels et les femmes, mais des preuves externes disponibles indiquent que seul un petit nombre d’hommes et de femmes de haut rang étaient concernés avant l’ère moderne.

Durant les siècles suivants, un large éventail de traditions monastiques hindouistes ont produit des textes sur la pratique physique du yoga. Ces différentes traditions avaient des croyances théologiques et philosophiques différentes, ce qui explique qu’il n’y ait pas une seule et unique philosophie ou théologie du haṭhayoga. Ces textes n’utilisaient pas tous le terme haṭhayoga dont les connotations de force ne plaisaient pas à tout le monde. Le texte qui suivit l’Amaraughaprabodha pour enseigner un haṭhayoga en tant que tel fut la Dattātreyayogaśāstra datée aux environs du 13ème siècle, “Le traité de yoga de Dattātreya”, une oeuvre Vaiṣṇava (voir, VAIṢṆAVA, PHILOSOPHIE) qui enseigne le système de yoga à quatre branches que l’on trouve dans l’Amaraughaprabodha. Le haṭhayoga enseigné dans la Dattātreyayogaśāstra est considéré comme une alternative au yoga des huit membres plus connu dans le Yogaśāstra, “Traité de Yoga”, de Patañjali (voir YOGA: CLASSIQUE [PĀTAÑJALA]). Ses neuf techniques, que l’on attribue au sage Kapila, sont des méthodes de manipulation des énergies vitales et incluent les trois enseignées dans l’Amṛtasiddhi et l’Amaraughaprabodha, auxquelles six autres viennent s’ajouter. Vers le 14ème siècle, la  Haṭhapradīpikā, “Lumière sur Haṭha” (Digambarjī and Jhā 1970), le texte sanskrit le plus influent sur la pratique physique du yoga, élargit encore plus le champ du haṭhayoga. Ses enseignements, qui sont directement tirés d’au moins vingt textes antérieurs (incluant l’Amaraughaprabodha et la Dattātreyayogaśāstra), ajoutent aux neuf enseignements de la Dattātreyayogaśāstra une méthode supplémentaire de manipulation des énergies vitales (ces méthodes sont collectivement nommées mudrās dans la Haṭhapradīpikā). La Haṭhapradīpikā enseigne trois composants supplémentaires de pratique de haṭhayoga: huit techniques de contrôle du souffle (kumbhakas), 15 postures corporelles (āsanas), et de la méditation du les sons internes qui émergent durant la pratique (nādānusandhāna). Cette catégorisation du haṭhayoga est devenue le modèle de base pour presque tous les textes de yoga postérieurs.

La Haṭhapradīpikā enseigne un paradigme de pratiques de yoga que l’on ne trouve dans aucun texte antérieur décrivant un haṭhayoga nommé comme tel, mais qui est enseigné dans d’influentes oeuvres Śaiva antérieures sur le yoga physique comme la Gorakṣaśataka, “Cent versets de Gorakṣa” (Mallinson à venir a), et la  Vivekamārtaṇḍa, “Soleil de Discernement” (Mallinson à venir b). Il s’agit de faire monter la déesse Kuṇḍalini le long du canal central du corps jusqu’à ce qu’elle s’unisse avec Śiva dans la tête. La Haṭhapradīpikā stipule que tous les mudrās qu’elle enseigne sont à cet effet, mêmes ceux qu’elle incorpore de textes plus anciens qui ne mentionnent pas Kuṇḍalini.

Sur les 15 postures (āsanas) que la Haṭhapradīpikā enseigne en tant que techniques de haṭhayoga, sept sont des postures complexes non assises. Certaines sont enseignées dans des textes plus anciens, mais la Haṭhapradīpikā est le premier à les enseigner faisant partie du haṭhayoga. Il y est dit que la pratique d’āsana mène à la stabilité et la souplesse du corps, et à une bonne santé.

Les huit kumbhakas de la Haṭhapradīpikā sont différentes manières d’inspirer et d’expirer, et, en plus d’être des techniques thérapeutiques pour soigner des déséquilibres physiques, elles préparent le yogi à kevala kumbhaka, “rétention de souffle isolée”, la capacité à retenir sa respiration spontanément aussi longtemps que l’on souhaite. Kevala kumbhaka mène au samādhi, l’état d’absorption cognitive qui est le but ultime du yoga.

Nādānusandhāna, la concentration sur les sons internes qui surviennent durant la pratique de yoga est réputée mener au  rājayoga, “le yoga royal”, assimilé au samādhi.

En plus de ces quatre types de pratiques qui caractérisent le haṭhayoga, la Haṭhapradīpikā est le plus ancien texte à enseigner les ṣaṭkarmas ou “six techniques”, des méthodes thérapeutiques pour purifier le corps telles que le rincement des cavités nasales avec de l’eau et des lavements auto-administrés.

Entre les 15ème et 18ème siècles, le nombre de textes enseignant le haṭhayoga prolifère, tout comme la variété de techniques enseignées. Un manuel du 18éme siècle intitulé Haṭhābhyāsapaddhati, “Le manuel de pratique Haṭha” (Birch, Singleton, et Mallinson, 2021), enseigne 112 āsanas, incluant des mouvements dynamiques et des postures utilisant des cordes, et présage certaines des évolutions de la pratique du yoga que l’on constate tout au long du 20ème siècle.

Au cours de la fin 17ème début 18ème siècles, plusieurs nouveaux “Yoga UPANIṢADS” furent composés, dont un bon nombre puisèrent massivement dans des manuels de haṭhayoga  antérieurs. L’assimilation du haṭhayoga dans l’HINDOUISME orthodoxe était complète.

Jusqu’aux années 1990, il y eut très peu d’attention universitaire portée sur l’histoire du haṭhayoga. Les années récentes ont vu une attention beaucoup plus accrue. De nouvelles études ont démontré que les récits mis en avant par bien des écoles de yoga et par des nationalistes hindous ne sont fondés sur aucun faits. En dépit des affirmations disant que ses techniques remontent à 5000 ans voire plus, il n’existe aucune preuve des méthodes spécifiques de haṭhayoga telles que des postures d’équilibre ou des respirations complexes remontant à plus de mille ans, et il n’existe aucune preuve pré-moderne des séquences complexes d’enchaînements de postures enseignées comme étant anciennes par bon nombre d’écoles de yoga modernes. L’Amṛtasiddhi, le premier texte où des méthodes de haṭhayoga furent codifiées, fut écrit par des bouddhistes.

Plusieurs oeuvres importantes sur le haṭhayoga restent à ce jour non étudiées ou non éditées. La Haṭhapradīpikā, par exemple, n’a pas d’édition critique. De nombreux textes en Marathi, Kannada et Telugu contenant des informations importantes sur le développement précoce du haṭhayoga restent encore à étudier par les chercheurs. Un travail sur ces textes permettra une compréhension plus nuancée sur l’histoire du haṭhayoga.

Voir aussi: buddhism; hinduism; upaniṣads; vaiṣṇavism, philosophical; yoga: classical (patañjala)

RÉFÉRENCES 

Birch, Jason, ed. 2021. The Yoga of Immortals: Critical Editions and Annotated Translations of the Amaraugha and Amaraughaprabodha. The Hatha Yoga Series. Pondicherry: École Française D’Extrême-Orient.

Birch, Jason, Mark Singleton, and James Mallinson, eds. 2021. Haṭhābhyāsapaddhati. Collection Indologie, Hatha Yoga Series. Pondicherry: Institut Français d’Indologie/ École française d’Extrême-Orient.

Digambarjī, Svāmī, and Pītambar Jhā, eds. 1970. Haṭhapradīpikā of Svātmārāma. Lonavla: Kaivalyadham S.M.Y.M. Samiti.

Mallinson, James, ed. à venir a. Gorakṣaśataka. Collection Indologie, Hatha Yoga Series. Pondicherry: Institut Français d’Indologie/École française d’Extrême-Orient.

Mallinson, James, ed. à venir b. Vivekamārtaṇḍa. Collection Indologie, Hatha Yoga Series. Pondicherry: Institut Français d’Indologie/École française d’Extrême-Orient.

Mallinson, James, and Péter-Dániel Szántó, eds. 2021. Amṛtasiddhi. Collection Indologie, Hatha Yoga Series. Pondicherry: Institut Français d’Indologie/École française d’Extrême-Orient.

AUTRES LECTURES

Bouy, Christian. 1994. Les Natha-Yogin et les Upaniṣads. Paris: Diffusion de Boccard.

Diamond, Debra, ed. 2013. Yoga: The Art of Transformation. Washington, DC: Smithsonian Institution.

Mallinson, James. 2014. “Haṭhayoga’s Philosophy: A Fortuitous Union of Non-dualities.” Journal of Indian Philosophy, 42 (1): 225–247. https://doi.org/10.1007/s10781-013- 9217-0.

Mallinson, James, and Mark Singleton. 2017. Roots of Yoga. London: Penguin.